Branche Bâtiment : liberté contractuelle de l’UFIC UNSA au-delà de sa représentativité dans les TPE
samedi 7 mai 2022 - ◷ 7 min
Dans le cadre de la définition des périmètres de négociation utiles aux branches professionnelles d’un même secteur, l’UNSA, représentative dans au moins un des champs couverts par l’accord de restructuration desdites branches est fondée à participer aux négociations...
JURISPRUDENCE SOCIALE
Cass., soc., 21 avril 2022, n° 20-18.799
CONTEXTE DE NEGOCIATIONS DE "BRANCHES" BÂTIMENT
A l’origine de cette décision se déroulant au sein du secteur du bâtiment, plusieurs difficultés de négociations de champs entre, d’un côté, faisant cause commune, la CAPEB (artisans), la CGT et la CFDT soutenues par l’UFIC UNSA (c’est trois dernières organisations syndicales de salariés étant majoritairement représentatives dans les TPE, plus de 8 % des voix), de l’autre, la FFB, "alliée" à la la CFE CGC, FO et la CFTC, minoritaires...
Les litiges portaient notamment sur la régularité et la pertinence :
– de la création de branches professionnelles Bâtiment regroupant, pour l’une, des entreprises jusqu’à 10 salariés et, pour l’autre, les entreprises de plus de 10 salariés,
– de la participation de la fédération industrie et construction de l’UNSA (ou l’UFIC UNSA) à la négociation et à la définition du périmètre du Bâtiment dans son ensemble, sans y être représentative au global (représentative que dans les jusqu’à 10 salariés, notamment "ouvriers")...
Des organisations syndicales représentatives dans le secteur du Bâtiment, côté salarial (FO, CGC et CFTC) et patronal (FFB) souhaitaient la mise en place d’une CPPNI unique pour toute la Branche "Bâtiment". Ces organisations avaient signé en 2019 un accord en ce sens en ayant obtenu aux mesures d’audience, cumulativement, côté OS de salariés, entre 30 et 50 %.
L’accord CPPNI unique n’aurait été valide que sous réserve qu’il n’y ait pas une opposition des autres organisations non signataires représentant plus de 50 %. Or, l’instauration d’une CPPNI unique s’est heurtée à cette opposition d’une "coalition" CFDT, CGT, soutenue par l’UFIC UNSA qui, "majoritaire" en représentativité de salariés dans le Bâtiment invalidait une CPPNI Bâtiment "unique".
Dans le même temps, ces dernières organisations syndicales ayant exercé un droit d’opposition signaient de leur côté un accord, celui-ci majoritaire, avec la CAPEB (employeurs artisans), prévoyant notamment la mise en place d’une seconde CPPNI : une première incluait donc dans son périmètre toutes les entreprises jusqu’à 10 salariés, tandis que la seconde inclut celle des plus de 10 salariés.
Contestation de la FFB mieux représentée dans les entreprises de 11 et plus...
Contestant le jeu démocratique des organisations professionnelles majoritaires au sein des TPE et de la Branche, la FFB, rejointe d’abord par FO, a saisi le tribunal de grande instance, en référé, aux fins de suspension de l’accord prévoyant deux CPPNI...
En cause, le fait que l’UNSA soit partie signataire à ces accords de plusieurs branches et CPPNI, alors que l’UNSA n’était représentative que dans le périmètre nouvellement créé des TPE (plus de 8 % des voix), des entreprises de jusqu’à 10 salariés.
Or, pour la FFB, les articles L. 2231-1 et L. 2232-6 c. trav. limitent la qualité de parties signataires aux organisations représentatives « dans le champ d’application de la convention ou de l’accord ».
L’UNSA n’avait pas de représentativité sur tout le secteur du bâtiment.
Le second argument avancé par les tenants de la CPPNI unique portait sur l’étendue de la liberté contractuelle laquelle était a priori conditionnée à l’existence d’un arrêté de représentativité reconnaissant ou pas les organisations représentatives. Or, la représentativité de l’UNSA sans le champ des jusqu’à dix n’était pas établie par un arrêtée au moment où l’UFIC UNSA signait les accords CPPNI même pour le seul périmètre visé.
Les contestataires interprétaient strictement la lettre de l’article L. 2232-9 c. trav. disposant que dans chaque branche est mis en place "une" CPPNI, pas deux ou trois... Une CPPNI = un seul périmètre englobant toutes les entreprises "Bâtiment".
En outre, l’absence d’arrêtés de représentativité pour les deux périmètres des + de 10 et des jusqu’à 10 salariés, pour toutes les catégories professionnelles, empêchaient de désigner les organisations qui étaient "représentatives" et donc fondées à déterminer une composition des représentations et des sièges dans chacune des CPPNI. En outre, le caractère irrégulier des accords rendait ineffectives les instances mises en place sur ces fondements...
• L’analyse de la cour de cassation
La Cour de cassation rappelle notamment que la liberté contractuelle s’exprime en particulier à l’occasion de fusions des branches impulsées par le ministre du travail. Dans ce cas, la fusion satisfait un motif d’intérêt général permettant d’éviter notamment un éparpillement des branches professionnelles et donc leur inefficacité ou faible activité...
Pour les procédures de fusions administratives de branches et dans l’attente d’un arrêté de représentativité définissant le périmètre final, toutes les organisations représentatives dans au moins un des périmètres fusionnés peuvent négocier un accord collectif de substitution ou de remplacement dans le respect du périmètre découlant de la fusion voulue par le ministère du travail (c. trav., L. 2261-34).
Mais, dans le secteur du Bâtiment, il s’agissait d’initiatives conventionnelles des partenaires sociaux dans le cadre du principe de liberté contractuelle, hors tout cadre de fusion administrative nécessitée par un intérêt général...
Par analogie à la fusion administrative, la Cour de cassation transpose toutefois le principe, dans la définition des "périmètres" d’une Branche, la participation à la négociation de toutes les organisations représentatives, y compris de celles représentatives que dans une seule.
C’est donc à bon droit que l’UFIC UNSA avait pu participer à la négociation d’un accord dans une Branche BATIMENT dans laquelle elle n’est que pour partie représentative.
ECLAIRAGES
L’enjeu de cette prise de position était de savoir, si et dans quelle mesure les partenaires sociaux restaient fondés à redéfinir librement et opportunément des périmètres de Branche, ceux qu’ils estiment utiles pour les négociations collectives, quitte à démultiplier des instances paritaires et les politiques de branche et les politiques sociales de branches et de secteurs professionnels (à l’heure où d’autres, comme la Métallurgie consolident et unifient leurs conventions collectives)...
La Cour de cassation est venue conforter le principe de liberté contractuelle.
Les organisations professionnelles peuvent donc décider de regrouper plusieurs branches en une seule, puis décider de re-scinder pour mettre en place des instances (CPPNI) au niveau jugé professionnellement le plus adéquat.
La Cour de cassation rappelle que même lors des opérations de fusion, s’il peut y avoir transitoirement et temporairement, au moment de la fusion, une atteinte au principe de liberté contractuelle, les organisations syndicales conservent une pleine et entière liberté de choix de négocier et de convenir. Passées cinq années, les partenaires sociaux recouvrent la possibilité de moduler le périmètre de leurs branches...
En matière conventionnelle, le principe reste donc bien la liberté contractuelle, dans la limite d’une absence de trouble manifestement illicite. Un trouble aurait pu être caractérisé si les accords avaient manqué à l’intérêt général, notamment en considération des périmètres de branche, notamment ceux utiles à la négociations collectives.
Enfin, cette décision est un rappel, en "creux" mais essentiel, que tout Homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix, participer directement ou par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail, dans les périmètres et champs d’activités, d’emploi et de conditions de travail, de droits sociaux qui lui sont les plus adaptés et qui sont aussi ceux de la négociation et de son secteur professionnels...
Autant de principes fondamentaux et à valeurs constitutionnelles (cf. 6 et 8 du préambule de la constitution de 1946 repris par notre Constitution actuelle) constituant autant de fondements juridiques, qui ne manqueront pas d’être utiles à la représentativité des organisations au regard des intérêts et des droits des salariés qu’elles défendent...
Michel PEPIN, juriste, Christian HERGES, Responsable Juridique, Pôle service juridique, Secteur Juridique National de l’UNSA.
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