CSE : de la liberté constitutionnelle de définir des établissements distincts ?
lundi 13 février 2023 - ◷ 8 min
Lors de la mise en place du CSE, les partenaires sociaux sont-ils totalement libres de déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts d’une entreprise ?
Selon l’arrêt rendu le 1er février 2023 par la Chambre sociale de la Cour de Cassation, la seule limite résulte de l’article 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
JURISPRUDENCE SOCIALE :
Cour de Cassation, Chambre sociale, 1er février 2023, pourvoi n° 12-15371
https://www.courdecassation.fr/en/d...
QUESTIONS DE DROITS
Air France et plusieurs organisations syndicales ont signé un accord d’entreprise relatif à la mise en place de plusieurs CSE d’établissements et d’un CSE central d’entreprise.
Une organisation syndicale tiers à cet accord d’entreprise, le Syndicat des pilotes d’Air France, le SPAF, a initié un contentieux judiciaire afin de contester la validité de l’accord, d’obtenir son annulation ainsi que la mise en place : d’une part d’un établissement distinct propre aux pilotes de lignes et, d’autre part, d’un CSE y afférent...
TGI de BOBIGNY :
Par jugement rendu le 23 mai 2019, le Tribunal de Grande Instance de Bobigny a débouté le SPAF de ses demandes. Aux termes d’un arrêt rendu le 18 février 2021, le Pôle 6, Chambre 2 de la Cour d’Appel de Paris confirmait la décision de première instance soulignant que :
– l’article L. 2232-12 du Code du travail prévoit que la validité d’un accord d’entreprise est subordonnée à sa signature, d’une part, par l’employeur ou son représentant, d’autre part, par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli + 50 % des suffrages au premier tour des dernières élections du CSE (quelque-soit le nombre de votants).
– l’accord d’entreprise relatif au nombre et au périmètre des établissements distincts au sein d’Air France entre dans le champ de compétence et des prérogatives reconnues aux partenaires sociaux à négocier un accord d’entreprise,
– enfin, les pilotes sont inclus dans l’établissement « exploitation aérienne » et son CSE ; ils bénéficient d’une représentation issue d’un collège qui leur est "propre"...
Cour de Cassation :
Le SPAF s’est pourvu en cassation et par arrêt en date du 1er février 2023, la Chambre sociale de la Cour de Cassation, pourvoi n° 21-15.371, a rejeté son pourvoi.
ÉCLAIRAGES
L’article L. 2313-2 dispose « qu’un accord d’entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 2232-12, détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts. »
Il convient de rappeler que le premier alinéa de cet article détermine les conditions de validité d’un accord.
Cette validité est subordonnée à la signature de l’accord d’une part, par l’employeur ou son représentant, et d’autre part, une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés (au 1er tour des dernières élections des titulaires au CSE quelque soit le nombre de votants).
L’article L. 2313-3 prévoit qu’en l’absence d’accord selon les modalités susvisées telles que fixées par l’article L. 2313-2 et en l’absence de délégué syndical, un accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires élus du CSE, peut déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts.
A défaut encore, l’article L. 2313-4 indique qu’en l’absence d’accord conclu, c’est l’employeur qui fixe finalement seul le nombre et le périmètre des établissements distincts. Il le fait « compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel".
Le nombre et le périmètre des établissements distincts d’une entreprise est fixée :
– par voie d’accord d’entreprise entre l’employeur et les organisations syndicales majoritaires lors de l’élection du CSE,
– à défaut, en l’absence de délégué syndical, par accord entre l’employeur et le CSE,
– à défaut encore, par l’employeur seul, en fonction de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement.
Le cas soumis à la Cour de Cassation concernait la première hypothèse, un accord d’entreprise ayant été signé entre l’employeur et les organisations syndicales majoritaires lors de l’élection du CSE.
A cet égard, il convient de souligner que le dispositif légal ne prévoit aucune disposition législative qui encadre les critères de détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts d’une entreprise par voie d’accord d’entreprise.
Cependant, l’article 23 de la directive 2002/14 CE du Parlement Européen et du Conseil du 11 mars 2002 accord un rôle prépondérant aux partenaires sociaux en leur permettant de définir par voie d’accord les modalités permettant la représentation de l’ensemble des salariés.
Dès lors, la Cour de Cassation considère que la seule limite pour les partenaires sociaux dans le cadre de la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts d’une entreprise, c’est de s’assurer que la représentation de l’ensemble des salariés soit assurée, eu égard au « principe de participation » auquel se réfère la Cour en se fondant sur l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 .
FONDEMENT JURIDIQUE :
Aux termes de son arrêt, la Cour de Cassation considère que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision. Elle indique "qu’il en résulte que les signataires d’un accord conclu selon les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3 déterminent librement les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l’entreprise, à la condition toutefois, eu égard au principe de participation consacré par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qu’ils soient de nature à permettre la représentation de l’ensemble des salariés".
Ayant d’abord exactement énoncé que les critères retenus pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements relèvent de la seule liberté des partenaires sociaux, la cour d’appel n’encourt pas le grief invoqué par la première branche.
Ayant ensuite constaté que la représentation des pilotes au sein du CSE « Exploitation aérienne » est assurée, d’une part, par l’élection de délégués dans un collège propre constitué de 20 sièges sur les sièges de titulaires soit une représentativité de 34 % alors même qu’ils ne constituent que 22 % des effectifs de l’exploitation aérienne et, d’autre part, par l’existence dans ce comité d’une commission « santé, sécurité et conditions de travail » pour chaque catégorie de personnel, dont les pilotes, et rappelé que chaque représentant du personnel au sein du CSE dispose de la faculté d’exercer un droit d’alerte, la Cour d’appel, abstraction faites des motifs erronés mais surabondants critiqués par la septième branche, a légalement justifié sa décision. »
En cas d’accord d’entreprise, si la règle reste bien la « liberté des partenaires sociaux » pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts, l’arrêt de la Cour de Cassation érige une limite jurisprudentielle qui vient combler un vide juridique.
Pour combler ce vide législatif, la Cour de Cassation se réfère aux principes constitutionnels et notamment au principe de participation consacré par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Désormais l’accord d’entreprise est valable « à la condition », qu’au regard « du principe de participation » le nombre et le périmètre des établissements fixés « soient de nature à permettre la représentation de l’ensemble des salariés. »
La Cour souligne qu’en l’espèce la représentation des pilotes est bien assurée au sein du CSE « exploitation aérienne », de délégués issus d’un collège propre, d’une commission « santé, sécurité, et conditions de travail » qui inclut leur catégorie de personnel, et rappelle que chaque représentant au sein du CSE dispose d’un droit d’alerte. Elle rejette donc le pourvoi dès lors que la représentation de l’ensemble des salariés et notamment les pilotes est prévue.
DROITS EN ACTIONS…
Pour que cette limite jurisprudentielle, tirée d’un principe constitutionnel, ne reste pas lettre morte dans l’avenir, elle devra être reprise tant par les décisions des juridictions du fond que par les prochains arrêts de la Cour de Cassation statuant sur le sujet.
Seul un courant jurisprudentiel non contredit dans le temps peut valablement modifier le droit et non une décision isolée.
A suivre donc...
Auteur, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
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