Partage
Facebook Twitter LinkedIn

Reconnaissance des temps de trajet missionné des itinérants se rendant chez leurs clients !

jeudi 24 novembre 2022 - ◷ 5 min

N’en déplaise à la législation française, le temps de trajet domicile-client des salariés itinérants est bien du temps de trajet !
Revirement à 180° de la Cour de cassation, qui considérait jusqu’ici le temps de trajet domicile-client des salariés itinérants comme étant du temps personnel...

JURISPRUDENCE SOCIALE

A propose de la décision : Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 20-21.924

https://www.courdecassation.fr/file...

° APPORT DE LA COUR DE CASSATION :

Saisie à plusieurs reprises sur ce point, le juge français refusait de qualifier le temps de déplacement des travailleurs itinérants, pour se rendre sur les sites du premier client désigné par l’employeur, comme du temps de travail. Il en allait de même pour le trajet retour, entre le site du dernier client et le domicile.

Ce refus de qualification en temps de travail trouvait sa source et son fondement dans l’article L. 3121-4 du code du travail, lequel dispose que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif ». Assez logiquement donc, le juge refusait de qualifier ce temps que comme des temps personnels hors temps de travail… Désormais, une page se tourne.

° POURQUOI CE "REVIREMENT" ?

La Cour de cassation vient de procéder à un revirement complet de jurisprudence et considère désormais, que le salarié itinérant doit être considéré comme "temps de travail", pour les trajets domicile lieu d’exercice de l’activité professionnelle, dans le cadre des rendez-vous avec les premiers et derniers clients...

Cela paraît surprenant lorsque l’on sait que l’article L. 3121-4 précédemment évoqué n’a été ni abrogé ni modifié.

La Cour de cassation aurait-elle pris une décision contraire à la loi ?

En réalité, elle a opéré une modification du fondement juridique mobilisé pour justifier sa décision. En se référant à l’article L 3121-1 du Code du travail, à l’exclusion de L. 3121-4, la considération change du tout au tout : « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».
Ce choix de revirement volontaire de la Cour de cassation est motivé par le souci de respecter le contenu de la directive 2003/88/CE relative au temps de travail....

° ECLAIRAGE :

On comprend alors que la Cour de cassation admet que l’article L. 3121-4, toujours en vigueur sur le temps de déplacement, est contraire à la directive. Sauf que l’un et l’autre de ces textes existent et sont en vigueur.
Pourquoi alors ce revirement ?

Poids et portée évolutive d’une directive européenne de 2003...

En réalité, jusqu’ici le juge français faisait prévaloir la loi et considérait que la directive européenne de 2003 n’était pas d’effet direct. Dit autrement, les juges lui déniaient la capacité de s’imposer à la loi française.

La C.J.U.E. le 9 mars 2021 améliore les droits des itinérants...

Néanmoins, une décision de justice rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), le 9 mars 2021 (Radiotelevizija Slovenija, C-344/19), est venue poser en son 31e paragraphe, le principe selon lequel les notions de temps de travail et de repos ne peuvent être déterminées unilatéralement par les Etats : ceux-ci doivent se conformer aux dispositions fixées par la directive sur le temps de travail.

Certes dans la décision de la Cour de justice de l’Union ne concernait pas le cas de la France. Mais, les hauts magistrats n’ont fait qu’anticiper ce qui devenait inéluctable, dès lors que le litige serait porté devant les instances de l’Union.

Et le juge français ?

Aujourd’hui, le juge français va devoir soutenir la démarche et le raisonnement qui suivent : « lorsque les temps de déplacement accomplis par un salarié itinérant, entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu’elle est fixée par l’article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 du même code ».

° DROIT EN ACTIONS

Dès lors qu’un salarié itinérant est en déplacement en partant de son domicile vers un rendez-vous client en se conformant aux directives de son employeur sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, il devra être dès lors être considéré que ce déplacement est du temps de travail, rémunéré comme tel.

Attention toutefois, le simple fait que l’employeur ait planifié le rendez-vous n’est pas suffisant pour caractériser le temps de travail.

Encore faut-il que le salarié soit disponible durant le trajet pour effectuer des opérations relevant de son travail. Cela peut être des appels professionnels, une prise de rendez-vous, autre...

Une avancée majeure donc, mais en demi-teinte. Il pourrait être tentant pour certains de dire que le salarié a procédé volontairement et sans contrainte à ces opérations durant le temps de trajet sans y avoir été invités…

On appréciera cet apport tout en s’inquiétant de sa lisibilité dans la multitude des sources de droit du travail...

A suivre, pour le mode d’emploi et le devenir des ces dispositions prétoriennes nouvelles...

Auteur Michel PEPIN, juriste, Pôle service juridique du Secteur Juridique National de l’UNSA.

Pour tous commentaires ou question, juridique@unsa.org

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.