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Un responsable ayant des prérogatives d’employeur peut être électeur !?

dimanche 12 décembre 2021 - ◷ 4 min

Le Conseil constitutionnel considère que la délégation de pouvoir faite par l’employeur à un salarié ne prive pas ce dernier d’un droit constitutionnel d’être électeur aux élections professionnelles et donc, de participer à sa représentation au sein du comité social et économique.

DECISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Conseil constitutionnel, QPC, n° 2021-947, 19 novembre 2021
https://www.conseil-constitutionnel...

LE CONTEXTE DE LA SAISINE

Le Conseil constitutionnel a été saisi afin de se prononcer sur la conformité de l’article L. 2314-18 du Code du travail rédigé comme il suit :
« sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques... »

Ce n’est pas tant la rédaction de l’article qui est remise en cause mais l’interprétation qu’elle permet et qui en avait été faite par la Cour de cassation avant la saisine du Conseil.

Rappelons à ce titre que les juges considèrent de longue date que les salariés disposant d’une délégation de pouvoir de l’employeur sont assimilés à celui-ci. Partant, il ne leur est ni permis d’être électeurs, ni de se présenter comme candidat aux élections professionnelles. Ce point suscite la critique du demandeur car il prive les intéressés du droit constitutionnel à la participation des travailleurs par l’intermédiaire de leurs représentants.

LA POSITION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Cet argument a emporté l’adhésion du Conseil constitutionnel. S’il considère que c’est bien au législateur de mettre en œuvre les principes prévus par la Constitution, c’est sous réserve de ne pas en dévoyer le sens. Cependant le Conseil fait depuis longtemps une interprétation large de la notion de « travailleur » au sens de la Constitution, en considérant notamment qu’il inclut toute forme de "salariat".

En conséquence, la situation de droit consistant à considérer que la délégation de pouvoir de l’employeur à un de ses subordonnés a pour effet de déplacer ce dernier de la catégorie de "salarié" à celui de personne « faisant fonction d’employeur » : cette règle doit être déclarée inconstitutionnelle.

L’article L.2314-18 précité est ainsi déclaré inconstitutionnel et les effets en découlant, en clair sa suppression, sont différés au 31 octobre 2022.

ECLAIRAGES

Si de prime abord la portée de cette décision pourrait sembler limitée, elle retient l’attention pour plusieurs raisons.

En termes de conséquence immédiate cela revient à permettre à tout représentant de l’employeur de peser sur le choix des candidats appelés à siéger au sein des CSE et susceptibles d’être désignés comme délégués syndicaux.

De la même façon, le Code du travail permet aux électeurs ayant au moins un an d’ancienneté et non apparentés d’un point de vue familial à l’employeur, mais néanmoins très proche de celui dans les responsabilités et fonctions exercées, d’être candidat aux élections.

Hier apparentés à l’employeur, les cadres dirigeants salariés seraient-ils aujourd’hui susceptibles aussi d’être les représentants de salariés (et donc éligibles...) dans les instances face à l’employeur ? Cela pourrait avoir un impact non négligeable et paradoxal, surtout dans les petites et moyennes entreprises.

On le sait, la désignation d’un délégué syndical passe par les élections au CSE et notamment, au regard des volonté et score individuel de chaque candidat. Sauf que si aucun candidat ayant plus de 10% n’accepte d’être délégué syndical, sans toutefois renoncer par écrit à sa faculté de devenir DS, tous les syndicats perdront en "représentativité" et en actions de défense des intérêts tant collectifs qu’individuels, matériels et moraux des salariés...

La position du Conseil constitutionnel pourrait également entraîner une dynamique de déclarations d’inconstitutionnalité. Les cadres dirigeants sont privés par le Code du travail de certains droits (forfaits, jours de repos, temps de travail... ). Ces droits ont pour objet de prendre en considération un certain nombre de considérations comme le "droit à la santé" constitutionnellement établi...

Le cœur du problème soulevé dans la décision tenait au constat d’une différence de traitement au regard de principes constitutionnels garantis. Il n’a pas été admis qu’il puisse être dérogé à ces garanties, malgré un constat de fait plaçant cette catégorie de salariés dans une situation différente. Il suffirait qu’un seul salarié placé dans cette situation soulève cette question lors d’un litige, avec la présente décision à l’appui, pour que le régime actuel soit également remis en question…

Auteur, Michel PEPIN, Juriste en droit social, Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

Pour toutes questions : juridique@unsa.org

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