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Hôpital public, le temps de travail à l’aune des directives européennes

samedi 10 décembre 2022 - ◷ 5 min

Durée maximale du travail hebdomadaire : le Conseil d’État rejette les demandes des syndicats, mais rappelle les obligations des hôpitaux publics au regard du droit européen...

Contexte : trois syndicats, alertés des dérives de dépassement d’heures dans les hôpitaux publics, veulent faire tomber les dispositions règlementaires du Code de la Santé Publique qui n’assurent qu’un suivi des heures en demi-journées. On vous en dit plus !

JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE DU CONSEIL D’ETAT

Tout est parti d’un « R.A.P. » (recours administratif préalable, d’un recours donc à caractère « gracieux »).

Des syndicats formaient un recours administratif préalable, auprès du gouvernement, pour revendiquer le respect de la limite de quarante-huit heures hebdomadaires de temps de travail, par la mise en place :
 d’un système pour suivre le décompte des horaires des praticiens et des internes,
 de sanction pour les établissements en cas de violation de la règlementation sur les durées maximales de travail hebdomadaire.

Devant le silence du premier ministre, ils saisissent le juge administratif par recours en excès de pouvoir arguant de la violation de la Directive européenne du 4 novembre 2003, en matière de prévention de la sécurité et la santé des travailleurs et de celle de l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’UE.

Le Conseil d’Etat…

Celui-ci rejettera les trois recours des syndicats. Il rappelle néanmoins la responsabilité des établissements hospitaliers. Les articles R. 6153-2-1 et suivants du code de santé publique instaure une obligation pour l’établissement d’une part :
 de mettre en place un tableau prévisionnel des périodes de travail et d’autre part de transmettre aux praticiens et internes,
 un récapitulatif trimestriel pour les praticiens et quadrimestriel pour les internes.

Au regard de la Directive européenne de 2003, les établissements doivent aussi se doter en complément des tableaux, d’un "suivi fiable objectif et accessible permettant un décompte journalier des heures effectuer par l’agent".

En Droit...

La France a-t-elle selon le Conseil d’Etat suffisamment transposé la directive de 2003 ? La question repose sur l’appréciation de l’effectivité du système de décompte, en demi-journées, pour faire respecter la règle édictée à l’article 6 de la Directive.
En effet et c’est l’argument qui fait mouche, le tableau ne permet pas un suivi journalier, seul capable de mesurer si les repos quotidien et hebdomadaire sont respectés. En revanche, la réglementation prévoit un bilan tous les trois ou quatre mois.

Le juge déclare donc la règle conforme.

Ce contrôle de conformité est une version moins approfondie que le recours en "excès de pouvoir". Le juge compare de manière objective si la norme est conforme ou non à la directive de 2003 et à la Charte. D’où, des syndicats déboutés et un juge qui consacre une obligation de suivi et de bonne pratique pour les établissements hospitalier.

S’agissant de la Directive 2003/88/CE, elle n’a jamais fait l’objet d’une transposition totale.
La Cour de Cassation s’y était déjà essayée, en étendant la règle d’acquisition des droits durant une absence pour accident de trajet (Cass. soc. 3 juillet 2012, n° 08-44834, BC V n° 204) et le report des congés payés pour le salarié absent pour maladie (Cass. soc. 24 février 2009, n° 07-44488, BC V n° 49).

Plus récemment encore, elle modifiait substantiellement sa position sous l’impact du droit européen, en reconnaissant les déplacements domicile-clients comme du temps de travail effectif (cf. brève du 24/11/2022). On notera que dans cette affaire, le juge s’est aussi fondé sur une jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union (décision Radiotelevizija Slovenija). Ce qui ne peut qu’amplifier cette tendance, plus il y aura de jurisprudence de la CJUE, plus il y aura d’opportunité pour le juge.

Pour le représentant du personnel...

Un représentant syndical de la fonction publique hospitalière, qui constate des dépassements d’heures, pourrait fonder son recours sur cette décision du Conseil d’État, pour exiger l’application de mesures appropriées.

Le droit européen et communautaire et même les textes internationaux ratifiés par la France comme certaines conventions et protocoles l’OIT (organisation internationale du travail) sont des sources du droit et des moyens juridiques pour défendre les droits des travailleurs.

Pour les syndicats en Europe, l’idée est récente, mais déjà, par un arrêt rendu le 14 mai 2019, la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO) contre Deutsche Bank SAE (C-55/18) s’exprimait sur le même sujet : un syndicat espagnol reprochait à une entreprise allemande l’absence de suivi journalier des heures dans l’entreprise.
Cependant, la loi espagnole n’ayant pas une portée générale suffisante et à défaut d’accord collectif applicable, les travailleurs s’étaient tournés vers le juge européen pour faire appliquer les Directives de 2003 et 1989...

Lorsque la loi ne « va pas dans le bon sens », le syndicat peut s’appuyer sur une norme externe, en l’occurrence, la Directive de 2003, ne le perdez pas de vue dans vos défenses et positions syndicales...

Auteur, Adib MOUHOUB, assistant-juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National.

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